Les athées, une espèce en voie de disparition ?
Début mars 2016, le citoyen russe Viktor Krasnov était poursuivi par un tribunal du sud du pays pour avoir nié l’existence de Dieu sur un réseau social local. Après un mois d’observation psychiatrique forcée, il encourt un an de prison, sa profession d’irréligion étant considérée par les juges russes comme relevant du blasphème.
Front anti-blasphème
Quelques semaines plus tôt, les médias saoudiens se faisaient l’écho de la condamnation d’un jeune homme de 27 ans à dix années de détention et deux mille coups de fouet pour avoir fait part de ses convictions athées sur Twitter. Une décision prise par le Comité pour la promotion de la vertu et la répression du vice, la police religieuse du royaume, par ailleurs grand allié des puissances occidentales. Dans le même temps, à Malte, pays membre de l’Union européenne, un fort mouvement d’opinion s’opposait à la suppression des lois sur le blasphème au nom de la lutte contre “l’athéisme politique”. Au Bangladesh, l’année 2015 a aussi été marquée par les lynchages en série de blogueurs athées.
Autant d’actualités qui confirment que l’époque est hostile aux libres-penseurs, où qu’ils se trouvent. Au-delà du blasphème, mobile du massacre de Charlie Hebdo en janvier 2015, c’est bien la croyance en l’inexistence de Dieu qui est visée. Si la persécution de l’athéisme gagne logiquement du terrain dans des régions travaillées par un profond retour du religieux ou par de puissants mouvements fondamentalistes, les nations de tradition séculière tendent quant à elles à répondre aux malaises identitaires qu’elles traversent par une analyse d’ordre communautaire, définie par l’appartenance religieuse des uns et des autres. En Europe occidentale et en Amérique du Nord, l’idéal d’une société harmonieuse semble se limiter à l’image d’une tolérance entre différents groupes religieux, et non plus à la construction d’une appartenance commune et neutre. Au pire, les athées font figure de cibles toutes désignées. Au mieux, ils ne sont pas pris en compte dans une vision de la société qui pourrait se résumer à une mosaïque religieuse, où les institutions étatiques feraient figure d’arbitre. Face à cet horizon, l’avenir des athées se résume à une alternative radicale : disparaître ou s’institutionnaliser, devenir une antiquité du temps lointain des idéologies séculières ou alors se structurer en communauté spirituelle pour traiter d’égal à égal avec les religieux de tous bords.
Scénario 1 / Le crépuscule des athées
Dans une étude publiée en avril 2015, le Pew Research Center, reconnu pour ses études démographiques et statistiques liées au fait religieux, prévoyait une réduction de 35 % de la proportion des athées, agnostiques et individus sans affiliation religieuse à travers le monde à l’horizon 2050. Pour une raison simple : les personnes qui adhérent à une religion, hautement susceptibles de la transmettre à leurs descendants, font plus d’enfants que les autres. Par ailleurs, si en Europe de l’Ouest la croissance économique a pu se traduire par un long processus de désaffiliation religieuse, cette corrélation n’est pas nécessairement exportable.
À titre d’exemple, la Turquie a connu dans les années 2000 une expansion économique sans précédent, concomitante d’un retour radical à l’ordre moral dirigé frontalement contre ses vieilles traditions laïques. Des faubourgs sans fin des grandes villes turques aux petites localités de province, les centres commerciaux sont sortis de terre en même temps que d’innombrables nouvelles mosquées. Et au-delà de la Turquie, les classes moyennes des pays émergents restent pieuses ou le deviennent encore plus. Même en Chine, officiellement athée, l’irruption d’une nouvelle bourgeoisie s’est traduite par un intérêt croissant pour la chose religieuse et un développement sensible des mouvements évangélistes. Bref, les athées n’ont pas à attendre de renforts du côté des effets de la croissance mondiale.
Harmonie entre groupes religieux
Affaiblis sur le plan démographique, les athées voient également la religion servir d’appui de plus en plus efficace à l’exercice du pouvoir politique. Héritiers d’une vénérable tradition manufacturière soviétique, il arrive aux missiles russes utilisés en Syrie d’être bénis par des évêques orthodoxes avant leur départ. Le nationalisme arabe, initialement déconnecté de toute référence religieuse, a achevé de se diluer dans le radicalisme musulman, une synthèse qu’incarne dans sa version la plus redoutable l’État islamique, tandis que l’Arabie saoudite use de son influence pour modeler à son image – fondamentaliste – le reste du monde sunnite. L’Inde socialiste de Nehru, où la non-affiliation individuelle à une religion est difficilement envisageable, se trouve désormais dominée par un nationalisme hindou agressif incarné par le Premier ministre Narendra Modi, qui s’appuie sur de nouveaux gourous pour promouvoir son image au-delà de ses frontières. Le monde de demain pourrait donc continuer à se construire en laissant les athées sur le bord du chemin. Les rapports de force qui s’installent sont adossés à des évolutions du discours religieux face auxquelles ils se trouvent collectivement désarmés, individuellement dépassés.
En Europe aussi, l’appartenance confessionnelle a déjà commencé à s’imposer comme une donnée fondamentale et les athées sont indirectement priés de s’y plier. Le discours qui émerge face aux crises identitaires, aux tensions communautaires et à la violence religieuse est celui qui prône l’harmonie entre des groupes religieux séparés mais égaux. Au lendemain des attentats de janvier 2015, la création de l’œuvre CoeXisT du street artist français Combo Culture Kidnapper symbolise une réponse au fondamentalisme religieux qui, quoique bienveillante, reste prisonnière du prisme confessionnel. Peinte au pochoir sur les murs de Paris, elle fait figurer le mot “CoeXisT” avec à la place du “C” un croissant de lune censé représenter l’islam, un “X” en forme d’étoile de David et un “T” figuré par une croix latine.
L’horizon souhaitable et indépassable qui s’offrirait à la société française post-2015 serait donc la coexistence entre trois groupes religieux ? Pas de place pour les autres, réduits au rang de figurants, dans le blanc des lettres restantes, ou pour les athées, sommés de s’identifier au groupe auquel les rattacheraient d’office leurs origines familiales. En suivant cette pente, que ce soit dans la radicalité et la violence ou dans l’indifférence et la juxtaposition communautaire, on verrait le fait religieux primer et les athées marginalisés dans une société qui continuerait de se fragmenter le long de lignes de partage qu’ils réfutent mais qui s’imposent à eux. Dans ce contexte, 13 % d’athées en 2050, ce serait déjà pas mal…
Scénario 2 / Une nouvelle Église pour les sans-Dieu ?
Dans un monde où les idéologies séculières poursuivent un déclin déjà largement accompli – la démocratie libérale constituant leur dernière émanation encore opérante bien qu’affaiblie – et où tout fait social continuerait de se voir imposer une grille de lecture religieuse, les athées pourraient aussi adopter une stratégie de survie. Les ensembles religieux monopolisant l’espace, il leur faudra se construire une place équivalente pour rester légitimes. Demeurer en surplomb, sur un plan différent de celui des cultes établis pourrait ne plus suffire. La tentation serait alors grande d’institutionnaliser l’athéisme, de revendiquer un espace reconnu analogue à celui des communautés religieuses existantes. L’athéisme serait alors un système de croyance ou plutôt de non-croyance auquel on pourrait adhérer, voire dont on pourrait hériter.
Des tentatives allant en ce sens ont déjà vu le jour, à la marge et sur un ton plutôt décalé. C’est le cas des Sunday Assemblies, sortes de messes athées lancées début 2013 à Londres par le comédien Sanderson Jones, qui suivent jusqu’au mimétisme le déroulé d’une cérémonie chrétienne classique. Les chants religieux sont remplacés par des séances de karaoké sur de la pop britannique, la Bible par des classiques de la littérature anglaise et le sermon par un exposé scientifique. “L’Église athée” a déjà essaimé dans plusieurs villes du pays, ainsi qu’aux États-Unis. Pour ses fondateurs, il s’agit de créer du commun sans qu’une référence religieuse ne serve de prétexte à se retrouver tous les dimanches.
Les athées comme les LGBT
C’est précisément aux États-Unis, où le président prête serment sur un texte sacré et où l’approche communautaire est fondamentale dans l’idée que la société se fait d’elle-même, que les athées tendent à revendiquer leur appartenance à une communauté spirituelle à part entière. Au-delà des simulacres de messes proposés par les Sunday Assemblies, c’est bien un combat pour la reconnaissance de l’égalité que certains athées américains entendent mener. Fin 2014, l’Openly Secular Coalition, un groupe d’intérêt rassemblant athées, agnostiques et humanistes séculiers initiait une campagne dans sept États américains imposant dans leurs lois fondamentales des restrictions d’accès aux postes publics pour les non-croyants. Son action consiste par ailleurs à mettre en avant les discriminations dont les athées sont victimes dans leur vie professionnelle et personnelle. Comme d’autres activistes de la non-religion, ils calquent ouvertement leur mode opératoire, leur discours et leur storytelling sur l’activisme minoritaire tel qu’il existe dans le pays, s’inspirant notamment des combats de la communauté LGBT.
Pour forger une communauté, rien n’est plus efficace, cependant, que les persécutions que ses ennemis lui font subir. En mars 2016, Roy Speckhardt, directeur exécutif de l’Association humaniste américaine, un groupe d’intérêt non croyant, dénonçait dans une tribune publiée par le Huffington Post la menace d’un terrorisme anti-athée, pratiqué par des États théocratiques comme l’Arabie saoudite et des groupes fondamentalistes. Déplaçant le débat au-delà de la tension entre respect des croyances d’autrui et liberté d’expression, ce type de prises de position pourrait contribuer, à terme, à l’émergence d’une cause athée globale et finir par rassembler des individus athées dans une communauté philosophique transnationale. L’association publie déjà, depuis 2012, de volumineux rapports sur la condition des athées à travers le monde, dans l’espoir d’englober leurs luttes pour leur donner plus de poids. Mode de pensée aux contours flous, l’athéisme devrait donc chercher à s’organiser, se structurer et se faire représenter, devenant le dénominateur commun d’une diaspora qui s’ignorait jusque-là, d’une minorité irréligieuse sans frontières, réclamant son droit de minorité irréligieuse à être défendue contre toutes les majorités croyantes. Résister au poids des religions dans le débat public en jouant le même jeu qu’elles… Qui l’eût cru il y a un siècle, quand la sécularisation semblait encore être l’horizon du monde ?
Front anti-blasphème
Autant d’actualités qui confirment que l’époque est hostile aux libres-penseurs, où qu’ils se trouvent. Au-delà du blasphème, mobile du massacre de Charlie Hebdo en janvier 2015, c’est bien la croyance en l’inexistence de Dieu qui est visée. Si la persécution de l’athéisme gagne logiquement du terrain dans des régions travaillées par un profond retour du religieux ou par de puissants mouvements fondamentalistes, les nations de tradition séculière tendent quant à elles à répondre aux malaises identitaires qu’elles traversent par une analyse d’ordre communautaire, définie par l’appartenance religieuse des uns et des autres. En Europe occidentale et en Amérique du Nord, l’idéal d’une société harmonieuse semble se limiter à l’image d’une tolérance entre différents groupes religieux, et non plus à la construction d’une appartenance commune et neutre. Au pire, les athées font figure de cibles toutes désignées. Au mieux, ils ne sont pas pris en compte dans une vision de la société qui pourrait se résumer à une mosaïque religieuse, où les institutions étatiques feraient figure d’arbitre. Face à cet horizon, l’avenir des athées se résume à une alternative radicale : disparaître ou s’institutionnaliser, devenir une antiquité du temps lointain des idéologies séculières ou alors se structurer en communauté spirituelle pour traiter d’égal à égal avec les religieux de tous bords.
Scénario 1 / Le crépuscule des athées
Dans une étude publiée en avril 2015, le Pew Research Center, reconnu pour ses études démographiques et statistiques liées au fait religieux, prévoyait une réduction de 35 % de la proportion des athées, agnostiques et individus sans affiliation religieuse à travers le monde à l’horizon 2050. Pour une raison simple : les personnes qui adhérent à une religion, hautement susceptibles de la transmettre à leurs descendants, font plus d’enfants que les autres. Par ailleurs, si en Europe de l’Ouest la croissance économique a pu se traduire par un long processus de désaffiliation religieuse, cette corrélation n’est pas nécessairement exportable.
À titre d’exemple, la Turquie a connu dans les années 2000 une expansion économique sans précédent, concomitante d’un retour radical à l’ordre moral dirigé frontalement contre ses vieilles traditions laïques. Des faubourgs sans fin des grandes villes turques aux petites localités de province, les centres commerciaux sont sortis de terre en même temps que d’innombrables nouvelles mosquées. Et au-delà de la Turquie, les classes moyennes des pays émergents restent pieuses ou le deviennent encore plus. Même en Chine, officiellement athée, l’irruption d’une nouvelle bourgeoisie s’est traduite par un intérêt croissant pour la chose religieuse et un développement sensible des mouvements évangélistes. Bref, les athées n’ont pas à attendre de renforts du côté des effets de la croissance mondiale.
Harmonie entre groupes religieux
Affaiblis sur le plan démographique, les athées voient également la religion servir d’appui de plus en plus efficace à l’exercice du pouvoir politique. Héritiers d’une vénérable tradition manufacturière soviétique, il arrive aux missiles russes utilisés en Syrie d’être bénis par des évêques orthodoxes avant leur départ. Le nationalisme arabe, initialement déconnecté de toute référence religieuse, a achevé de se diluer dans le radicalisme musulman, une synthèse qu’incarne dans sa version la plus redoutable l’État islamique, tandis que l’Arabie saoudite use de son influence pour modeler à son image – fondamentaliste – le reste du monde sunnite. L’Inde socialiste de Nehru, où la non-affiliation individuelle à une religion est difficilement envisageable, se trouve désormais dominée par un nationalisme hindou agressif incarné par le Premier ministre Narendra Modi, qui s’appuie sur de nouveaux gourous pour promouvoir son image au-delà de ses frontières. Le monde de demain pourrait donc continuer à se construire en laissant les athées sur le bord du chemin. Les rapports de force qui s’installent sont adossés à des évolutions du discours religieux face auxquelles ils se trouvent collectivement désarmés, individuellement dépassés.
En Europe aussi, l’appartenance confessionnelle a déjà commencé à s’imposer comme une donnée fondamentale et les athées sont indirectement priés de s’y plier. Le discours qui émerge face aux crises identitaires, aux tensions communautaires et à la violence religieuse est celui qui prône l’harmonie entre des groupes religieux séparés mais égaux. Au lendemain des attentats de janvier 2015, la création de l’œuvre CoeXisT du street artist français Combo Culture Kidnapper symbolise une réponse au fondamentalisme religieux qui, quoique bienveillante, reste prisonnière du prisme confessionnel. Peinte au pochoir sur les murs de Paris, elle fait figurer le mot “CoeXisT” avec à la place du “C” un croissant de lune censé représenter l’islam, un “X” en forme d’étoile de David et un “T” figuré par une croix latine.
L’horizon souhaitable et indépassable qui s’offrirait à la société française post-2015 serait donc la coexistence entre trois groupes religieux ? Pas de place pour les autres, réduits au rang de figurants, dans le blanc des lettres restantes, ou pour les athées, sommés de s’identifier au groupe auquel les rattacheraient d’office leurs origines familiales. En suivant cette pente, que ce soit dans la radicalité et la violence ou dans l’indifférence et la juxtaposition communautaire, on verrait le fait religieux primer et les athées marginalisés dans une société qui continuerait de se fragmenter le long de lignes de partage qu’ils réfutent mais qui s’imposent à eux. Dans ce contexte, 13 % d’athées en 2050, ce serait déjà pas mal…
Scénario 2 / Une nouvelle Église pour les sans-Dieu ?
Dans un monde où les idéologies séculières poursuivent un déclin déjà largement accompli – la démocratie libérale constituant leur dernière émanation encore opérante bien qu’affaiblie – et où tout fait social continuerait de se voir imposer une grille de lecture religieuse, les athées pourraient aussi adopter une stratégie de survie. Les ensembles religieux monopolisant l’espace, il leur faudra se construire une place équivalente pour rester légitimes. Demeurer en surplomb, sur un plan différent de celui des cultes établis pourrait ne plus suffire. La tentation serait alors grande d’institutionnaliser l’athéisme, de revendiquer un espace reconnu analogue à celui des communautés religieuses existantes. L’athéisme serait alors un système de croyance ou plutôt de non-croyance auquel on pourrait adhérer, voire dont on pourrait hériter.
Des tentatives allant en ce sens ont déjà vu le jour, à la marge et sur un ton plutôt décalé. C’est le cas des Sunday Assemblies, sortes de messes athées lancées début 2013 à Londres par le comédien Sanderson Jones, qui suivent jusqu’au mimétisme le déroulé d’une cérémonie chrétienne classique. Les chants religieux sont remplacés par des séances de karaoké sur de la pop britannique, la Bible par des classiques de la littérature anglaise et le sermon par un exposé scientifique. “L’Église athée” a déjà essaimé dans plusieurs villes du pays, ainsi qu’aux États-Unis. Pour ses fondateurs, il s’agit de créer du commun sans qu’une référence religieuse ne serve de prétexte à se retrouver tous les dimanches.
Les athées comme les LGBT
C’est précisément aux États-Unis, où le président prête serment sur un texte sacré et où l’approche communautaire est fondamentale dans l’idée que la société se fait d’elle-même, que les athées tendent à revendiquer leur appartenance à une communauté spirituelle à part entière. Au-delà des simulacres de messes proposés par les Sunday Assemblies, c’est bien un combat pour la reconnaissance de l’égalité que certains athées américains entendent mener. Fin 2014, l’Openly Secular Coalition, un groupe d’intérêt rassemblant athées, agnostiques et humanistes séculiers initiait une campagne dans sept États américains imposant dans leurs lois fondamentales des restrictions d’accès aux postes publics pour les non-croyants. Son action consiste par ailleurs à mettre en avant les discriminations dont les athées sont victimes dans leur vie professionnelle et personnelle. Comme d’autres activistes de la non-religion, ils calquent ouvertement leur mode opératoire, leur discours et leur storytelling sur l’activisme minoritaire tel qu’il existe dans le pays, s’inspirant notamment des combats de la communauté LGBT.
Pour forger une communauté, rien n’est plus efficace, cependant, que les persécutions que ses ennemis lui font subir. En mars 2016, Roy Speckhardt, directeur exécutif de l’Association humaniste américaine, un groupe d’intérêt non croyant, dénonçait dans une tribune publiée par le Huffington Post la menace d’un terrorisme anti-athée, pratiqué par des États théocratiques comme l’Arabie saoudite et des groupes fondamentalistes. Déplaçant le débat au-delà de la tension entre respect des croyances d’autrui et liberté d’expression, ce type de prises de position pourrait contribuer, à terme, à l’émergence d’une cause athée globale et finir par rassembler des individus athées dans une communauté philosophique transnationale. L’association publie déjà, depuis 2012, de volumineux rapports sur la condition des athées à travers le monde, dans l’espoir d’englober leurs luttes pour leur donner plus de poids. Mode de pensée aux contours flous, l’athéisme devrait donc chercher à s’organiser, se structurer et se faire représenter, devenant le dénominateur commun d’une diaspora qui s’ignorait jusque-là, d’une minorité irréligieuse sans frontières, réclamant son droit de minorité irréligieuse à être défendue contre toutes les majorités croyantes. Résister au poids des religions dans le débat public en jouant le même jeu qu’elles… Qui l’eût cru il y a un siècle, quand la sécularisation semblait encore être l’horizon du monde ?
Cet article a été publié dans le numéro 19 (mars, avril, mai 2016) disponible en kiosques et dans leur boutique en ligne.
Plus récemment, l’Europe s’est entendue avec le Canada pour protéger ses appellations. Signé le 26 septembre 2014 et prévu pour être ratifié en 2016, cet accord commercial porte sur la défense de 173 appellations du Vieux Continent (dont 42 AOP françaises) sur les quelque 1 510 enregistrées par la Commission européenne. Pour certaines dans la liste, comme la féta grecque ou la Nürnberger Bratwürste (saucisse de Nuremberg, en Allemagne), le Canada s’engage à respecter un étiquetage clair pour distinguer ses produits de ceux importés d’Europe.
En Europe, le plus souvent, c’est l’Union qui est chargée de recenser et de protéger les AOP, et l’Etat en France pour les AOC. Dans l’Hexagone, le code de la propriété industrielle (article L711-4) est clair en la matière : un nom de produit « ne peut être adopté comme marque […] s’il existe un risque de confusion avec une appellation d’origine protégée ». Bien entendu, cet article n’est valable qu’en France et dans l’Union avec un règlement similaire (le 510/2006 du 20 mars 2006), mais pas ailleurs dans le monde.
Aux Etats-Unis, donc, pas de reconnaissance d’AOC, d’AOP ou d’une quelconque protection du terroir européen même si les producteurs de pomme de terre de l’Idaho ou de Homard du Maine sont intéressés par le principe. Non, outre-Atlantique, seule une marque déposée par une entreprise ou un acteur privé peut être reconnue ou protégée. Ainsi, du jambon de Parme, pourtant protégé en Europe, ne peut être vendu que sous le nom de « jambon original » en Amérique du Nord car « jambon de Parme » est déposée par une entreprise… canadienne.
Aux Etats-Unis, où « champagne » est synonyme de vin blanc mousseux, les autorités arguent que ce nom est tombé dans le domaine public. Là, le combat est plus difficile encore, les entreprises américaines n’hésitant pas à exporter des vins étiquetés avec le nom du prestigieux blanc mousseux. Seule victoire européenne pour le moment, cette appellation étant protégée sur le Vieux Continent, ces ersatz ne peuvent pas passer les frontières de l’Union.
Reste que dans les négociations avec les Etats-Unis sur l’accord de libre-échange avec l’Europe (Tafta/TTIP), la question des AOP est traitée comme dans l’accord conclu avec le Canada : il s’agirait de dégager autour de 150 AOP qui seraient reconnues et défendues par le partenaire américain.
Par Pierre Breteau et William Audureau
Tafta : pourquoi les Etats-Unis peuvent produire mozzarella, chablis ou champagne
LE MONDE | • Mis à jour le
Par Pierre Breteau et William Audureau Les négociations sur le projet d’accord de libre-échange transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis (Tafta-TTIP) ne sont guère avancées, selon des documents révélés par Le Monde dimanche 1er mai. Parmi les points sur lesquels les Européens se battent, il y a la question de défendre les produits du terroir du vieux continent pour ne plus trouver des noix de Grenoble… produites en Californie ou de parmesan contenant un dérivé du bois fabriqué en Pennsylvanie. Les cas de contentieux pour utilisation abusive d’appellation sont légion entre l’Union européenne et — littéralement — le reste du monde, notamment sur l’alimentation.
En l’absence d’accords bilatéraux — comme cela a été le cas entre l’Union et les Etats-Unis sur dix-sept appellations de vins en 2005, accord au terme duquel les Etats-Unis s’étaient engagés, à « limiter l’usage nouveau » d’appellations telles que bourgogne, champagne, ou chablis —, les industriels du monde entier peuvent bien faire ce qu’ils veulent ou presque avec les appellations d’origine contrôlée (AOC) françaises ou leur équivalent européen (AOP, « P » pour « protégée »).Plus récemment, l’Europe s’est entendue avec le Canada pour protéger ses appellations. Signé le 26 septembre 2014 et prévu pour être ratifié en 2016, cet accord commercial porte sur la défense de 173 appellations du Vieux Continent (dont 42 AOP françaises) sur les quelque 1 510 enregistrées par la Commission européenne. Pour certaines dans la liste, comme la féta grecque ou la Nürnberger Bratwürste (saucisse de Nuremberg, en Allemagne), le Canada s’engage à respecter un étiquetage clair pour distinguer ses produits de ceux importés d’Europe.
Vide juridique et « traditions » américaines
En Europe, le principe d’une spécialité rattachée à une zone géographique — à un terroir — remonte à la seconde moitié du XIXe siècle et à l’intensification des échanges internationaux. Dans le reste du monde, des noms comme « champagne » ou « mozzarella » sont plutôt considérés comme « semi-génériques » et désignent plus volontiers une catégorie de produits.En Europe, le plus souvent, c’est l’Union qui est chargée de recenser et de protéger les AOP, et l’Etat en France pour les AOC. Dans l’Hexagone, le code de la propriété industrielle (article L711-4) est clair en la matière : un nom de produit « ne peut être adopté comme marque […] s’il existe un risque de confusion avec une appellation d’origine protégée ». Bien entendu, cet article n’est valable qu’en France et dans l’Union avec un règlement similaire (le 510/2006 du 20 mars 2006), mais pas ailleurs dans le monde.
Aux Etats-Unis, donc, pas de reconnaissance d’AOC, d’AOP ou d’une quelconque protection du terroir européen même si les producteurs de pomme de terre de l’Idaho ou de Homard du Maine sont intéressés par le principe. Non, outre-Atlantique, seule une marque déposée par une entreprise ou un acteur privé peut être reconnue ou protégée. Ainsi, du jambon de Parme, pourtant protégé en Europe, ne peut être vendu que sous le nom de « jambon original » en Amérique du Nord car « jambon de Parme » est déposée par une entreprise… canadienne.
Seule option : le lobbying
En l’absence d’accord formel, la seule solution qu’il reste aux coopératives, aux syndicats ou aux consortiums, c’est le lobbying. Ainsi, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne, créé en 1941, est-il chargé de la défense, du développement de la notoriété, ainsi que de la lutte contre les « usurpations légalisées » de ce breuvage. Le comité dit par exemple avoir œuvré pour qu’au Brésil les producteurs de vin de l’Etat du Rio grande do Sul cesse d’apposer le nom « champagne » sur leurs bouteilles de blanc mousseux. De la même manière, en Ukraine ou en Moldavie, avec le retrait de la mention « Шампа́нское » (« champagne » en russe) de millions de bouteilles de vin blanc. En Russie, l’utilisation de l’appellation en caractère latin a cessé, mais pas encore en alphabet cyrillique.Aux Etats-Unis, où « champagne » est synonyme de vin blanc mousseux, les autorités arguent que ce nom est tombé dans le domaine public. Là, le combat est plus difficile encore, les entreprises américaines n’hésitant pas à exporter des vins étiquetés avec le nom du prestigieux blanc mousseux. Seule victoire européenne pour le moment, cette appellation étant protégée sur le Vieux Continent, ces ersatz ne peuvent pas passer les frontières de l’Union.
Reste que dans les négociations avec les Etats-Unis sur l’accord de libre-échange avec l’Europe (Tafta/TTIP), la question des AOP est traitée comme dans l’accord conclu avec le Canada : il s’agirait de dégager autour de 150 AOP qui seraient reconnues et défendues par le partenaire américain.
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